Dan Dana — Florian Matei-Popescu
Quatre diplômes militaires fragmentaires
Planche 18
Ces quatre fragments issus de diplômes militaires différents proviennent du commerce d’antiquités. Leur lieu de découverte reste inconnu, mais les indices internes pointent, du moins pour deux de ces fragments, vers la région balkanique, comme il arrive de nos jours avec la plupart des diplômes dont on ignore le contexte archéologique [1]. Cela explique aussi pourquoi nous ne pouvons donner ici que l’édition d’une des faces des quatre fragments, tout en ignorant les dimensions précises des morceaux de bronze.
Fragment de la tabella I extrinsecus ; dimensions inconnues ; sur le bord, deux lignes d’encadrement (pl. 18, fig. 1).
Il s’agit sans l’ombre d’un doute d’un autre diplôme issu de la constitution du 22 mars 129 pour l’armée de Syrie (deux ailes et onze cohortes), concernant une fois de plus un soldat libéré de la coh. I Ulpia Dacorum, dont le préfet est Ti. Claudius Maximinus, originaire de Neapolis d’Italie. C’est étonnant de connaître un nombre si important de copies [2] pour cette première démobilisation massive de l’unité auxiliaire constituée par Trajan entre les deux guerres daciques ; à cette date, tous ses soldats possèdent déjà les tria nomina, étant des Marci Ulpii, ce qui prouve l’octroi en bloc de la citoyenneté romaine ob virtutem, sans doute après l’expeditio Parthica [3]. D’autres diplômes accordés aux soldats daces (d’après onomastique et/ou l’ethnique) [4] ont été récemment publiées, tel un diplôme pour une province et unité inconnue, vers 136/137, seul l’ethnique DACO étant conservé pour la formule onomastique [5].
Voici un tableau des copies connues de cette constitution du 22 mars 129, plus précisément les exemplaires arrivés dans la possession des fantassins libérés de la coh. I Ulpia Dacorum :
Cela suffit à identifier le texte de la constitution et à reconstituer le texte de la formule onomastique :
Ce maigre fragment conserve uniquement la fin du cognomen et l’ origo du commandant, mais c’est suffisant pour l’identifier, grâce à un diplôme connu depuis longtemps. Il s’agit d’un exemplaire d’une constitution pour l’armée de la Mésie Inférieure, du 2 avril 134 (CIL XVI 78), apparemment trouvé à Giurgiu (Roumanie) [6] : coh(ortis) I Claudiae Sugambr(orum), cui praest M(arcus) Acilius Alexander, Palmyr(a), ex pedite L(ucio) Sextilio Sextili f(ilio) Pudenti, Stobis, et Lucio f(ilio) eius, et Valerio f(ilio) eius, et Petronio f(ilio) eius, et Valenti f(ilio) eius, et Luciae fil(iae) eius, et Anniae fil(iae) eius .
Notre diplôme est soit une copie de la même constitution, soit d’une autre, concernant la même unité (coh. I Claudia Sugambrorum tironum) [7] autour de l’an 134, ou bien une autre troupe (et une autre province), si cet officier équestre a exercé d’autres milices.
C’est donc la deuxième attestation de M. Acilius Alexander, originaire de Palmyre[8] ; il est intéressant d’invoquer ici, avec H. Devijver, un certain M. Iulius M. f. Fabia (tribu) Pisonianus qui et Dion (AÉ, 1927, 95), préfet de la coh. Cl. Sygambrum (sic) veterana equitata, domo Tyro metropolis Phoenices et Coeles Syriae, qui a Moesia Inf(eriore) Montan(ensi) praesidio numerum in Asia(m) perduxit , sous Hadrien[9]. Encore plus intéressant est de noter la présence d’un autre officier équestre issu de Palmyre, porteur du même gentilice plutôt rare en Orient : sans aucun doute était-il issu de la même famille [10]. Il s’agit de M. Acilius Acili Mocimi f. Sergia (tribu) Athenodorus, dont la carrière se déroule sous le règne d’Hadrien, et qui fut honoré à Palmyre par deux inscriptions en grec[11] : tribun de la coh. I Ulpia Petraeorum sagittariorum vers 130 (en Syrie), ensuite tribun de la légion X Fretensis (en Syrie Palestine). Les deux Marci Acilii officiers équestres appartiennent ainsi à la même famille palmyrénienne (avec l’inconnu par ailleurs M. Acilius Mocimus), comme l’indiquent aussi leurs cognomina, sémitique (Mocimus), théophore grec de traduction ( Athenodorus) et grec (Alexander).
Cela nous permet de proposer cette reconstitution du texte :
[e.g. et sunt in Moesia Infer(iore) sub Iulio Maiore?]
[e.g. coh(ortis) I Claudiae Sugambr(orum), cui] praest / [M(arcus) Acilius Alexand]er, Paḷṃỵ[r(a), ex --- etc.].
Fragment du coin inférieur gauche de la tabella I extrinsecus ; dimensions inconnues ; sur le bord, une ligne d’encadrement (pl. 18, fig. 3) ; par endroits, plusieurs lettres sont effacées, ce qui rend le déchiffrement très difficile, dont le nom du commandant de l’unité, qui reste illisible [12].
Sur les diplômes connus à ce jour, l’origo Ratiaria, colonie de Trajan en Mésie Supérieure (auj. Arčar, Bulgarie), apparaît encore quatre fois[13] :
– pour un commandant anonyme d’une cohorte ou d’une aile inconnue de Pannonie Inférieure, [R]atiar(ia) (AÉ, 2004, 1906, du 11 août 146) ;
– pour Valerius Valeri f. Valens, Ratiar(ia), de la coh. I Pannoniorum (en Mésie Supérieure) (CIL XVI 120, du 18 février 165) ;
– pour P. Valerius P. f. Pap(iria) Victor Ratiar(ia), de la coh. I praetoria (RMD IV 319, du 7 janvier 242).
‒ pour T. Specta[tius T. f.] Herculanus, Pạ[p(iria) R]ạtiar(ia), de la coh. III praetoria (du 7 janvier 244) [14].
Le soldat était déjà citoyen au moment de la mobilisation, puisque sonorigo n’était pas précédée par l’abréviation F pour f(ilio), mais par la fin de son cognomen finissant en [---]ḷus. Il était père de quatre enfants (dont une ou deux filles), mais sa compagne n’est pas nommée sur le diplôme. L’idionyme de son deuxième garçon est sans doute indigène : si la lecture [---]ṾṚAE ou [---]ṚAE est correcte, il pourrait être [Z]ura, nom dace attesté par une dizaine d’occurrences, la plupart sur le territoire de la Mésie Inférieure [15]. Sur un diplôme militaire récemment publié (lieu de découverte inconnu) [16], le nom du marin d’une flotte prétorienne (ca. 220/225 ap. J.-C.) appartient à la même famille onomastique : [ex gregale? M(arco) Aurelio? --- fil(io) ---], cui et Zur[---, Nicopol(i) ex Moesia Inf(eriore)?, vic]o Calmovia . Ce [M. Aur. --- f. ---], qui et Zur[---], était originaire de la partie orientale de la Mésie Inférieure, du territoire de Nicopolis ad Istrum.
Le texte reconstitué de ce diplôme du règne d’Hadrien (sans doute ca. 120–130) est le suivant :
Fragment de la tabella I extrinsecus, avec 6 lignes de texte conservés (pl. 18, fig. 4) ; dimensions 2,3 x 2,5 cm.
Le texte reconstitué de ce diplôme du règne d’Antonin le Pieux ou de Marc Aurèle et Lucius Verus (après 140, selon le formulaire juridique) est le suivant :
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Dan Dana
CNRS/ANHIMA |
Florian Matei-Popescu |
[1] Nous remercions vivement Auktionshaus H. D. Rauch (Vienne) et en particulier Mme Eleonore Reichl pour la permission de publier ces fragments (Rauch Auktion 87, 8–10 décembre 2010, nos 1213–1214) ainsi que pour les images mises à notre disposition. La tabella II d’un autre diplôme (flotte de Misène, du 25 décembre 119), pour M. Iulius Gesilae f. Fuscus, Bessus, a été déjà publiée par W. Eck, A. Pangerl, Diplome für Soldaten der italischen Flotten zwischen Vespasian und Severus Alexander , in : Honesta missione. Festschrift für Barbara Pferdehirt ( M-RGZM 100), Mayence 2014, 330–331, no 2. Nous remercions Werner Eck et Paul Holder pour leur relecture.
[2] Neuf copies étaient citées par W. Eck, Die kaiserliche Bürgerrechtspolitik im Spiegel der Militärdiplome – ein Thema Hartmut Wolffs , Passauer Jahrbuch 55 (2013) 15.
[3] Pour des détails, voir D. Dana, F. Matei-Popescu, Le recrutement des Daces dans l’armée romaine sous l’empereur Trajan : une esquisse préliminaire , Dacia NS 50 (2006) 198–199, 202 et 205 ; Iidem, Soldats d’origine dace dans les diplômes militaires, Chiron 39 (2009) 223 et 236–237.
[4] Voir un premier dossier chez Dana, Matei-Popescu, Soldats d’origine dace [n. 3] 209–256. Nous donnons ici la liste d’autres diplômes accordés à des militaires daces, la plupart très fragmentaires, publiés après la parution de l’article de 2009 :
(1) 17 janvier, février ou mars 125 (Bretagne) [ZPE 187 (2013) 290–292] : [alae G]allor(um) Procu[l(eianae), cui praest . Pom]peius Va[---, e]x gregale [--- .]onomusi f(ilio), [Daco?] (cf. OnomThrac [n. 15], 257 et 418) ;
(2) an 126 (Mésie Supérieure, l’une des unités étant une coh. II Dacorum) [ZPE (192) 2014 227–230] : [alae/coh(ortis) ---, cui praest - --- ---, ex --- --- --- f(ilio), Daco?, et ---]ris f(ilio) eius, [et --- f(ilio) eius], et Citzosi f(ilio) eius, [et --- f(ilio)/fil(iae) eius], et Durciei [fil(iae) eius] (onomastique dace des enfants) ;
(3) novembre/décembre 126 (Arabie) [ZPE 197 (2016) 227–230] : coh(ortis) VI H[ispanor(um), cui praest] Q(uintus) P[--- ---], e ̣ [x pedite?] Diurdano C ̣ [--- f(ilio), Daco?], et Marcellina ̣ [e --- fil(iae), uxori eius, ---], et S ̣ [--- f(ilio)/fil(iae) eius], et .[--- f(ilio)/fil(iae) eius], et .[--- f(ilio)/fil(iae) eius] ;
(4) 20 août 127 (Germanie Inférieure) [Chiron 39 (2009) 212 + KJ 43 (2010) 181–184 = AÉ, 2010, 1865] : alae Sulpic(iae) c(ivium) R(omanorum), [c]ui [praest] C(aius) Lavonicus A[---], ex gr[e]gale Diero Diensis f(ilio), [Daco?] (onomastique dace) ;
(5) 20 août 127 (Germanie Inférieure) [KJ 43 (2010) 181–184 = AÉ, 2010, 1866] : [coh(ortis) I Lucen]sium p(iae) f(idelis), cui [praest - ---] Cruscel[lio, ex ped]ite [--- ---]ỌṆ[--- f(ilio), Daco?] ;
(6) ca. 136/137 (province inconnue) [ZPE 190 (2014) 300–302] : [alae/coh(ortis) ---], cui praest [- --- Sat/Calp]urnianus, [ex --- --- --- f(ilio)], Daco ;
(7) ca. 120/140 (province inconnue) [Chiron 39 (2009) 214 + ZPE 196 (2015) 208–210] : coh(ortis) II[--- ---, cui praest] L(ucius) Titius [---, ex ---] Mattio Pris[ci? f(ilio) ---, Daco?], et Diurdano f(ilio) eiu[s, et --- f(ilio) eius?], et Dada f(ilio) eius [et --- f(ilio)/fil(iae) eius?] (noms daces) ;
(8) an 152 (Maurétanie Césarienne) [ZPE 177 (2011) 267–271 = AÉ, 2011, 1808] : coh(ortis) I Pạ[nnonior(um), cui praest] Iuliu[s ---, ex --- Diernaeo [--- f(ilio), Daco?] (nom dace) ;
(9) 26 octobre 153 (Maurétanie Tingitane) [ZPE 197 (2016) 243–248] : [alae Gemelli]an(ae) c(ivium) R(omanorum), cui praest [---] Clemens, [ex] g ̣ r ̣ e ̣ g ̣ a ̣ l ̣ e [--- Z]u ̣ rasi ̣ s ̣ f(ilio), Daco ;
(10) 26 octobre 153 (Maurétanie Tingitane) [ZPE 171 (2009) 245–247 = AÉ, 2009, 1834] : [alae/coh(ortis) ---, cui praest --- ---, ex --- --- ---]ḌI /ḄI f(ilio), Ḍ[aco?] ;
(11) ca. 151/152–154 (Syrie-Palestine) [SCI 25 (2016) 85–92] : [ala]e Antia[nae Ga]ll(orum) Thr(acum), cui pra[eest C]n(aeus) Domit[ius Cn(aei?) f(ilius)] Corbulo, ex [gregale ---]o Dece[bal]i f(ilio), Da[co] ;
(12) ca. 161/163 (été/automne) (Bretagne) [ZPE 171 (2009) 251–252 = AÉ, 2009, 1836] : [alae/coh(ortis) ---, cui praest --- ---, ex --- --- ---]osae f(ilio), Ḍ[aco?] ;
(13) fin du règne d’Élagabal/début du règne de Sévère Alexandre (flotte prétorienne) (Eck, Pangerl, Diplome [n. 1], 340–341) : [ex gregale? M(arco) Aurelio? --- fil(io) ---], cui et Zur[---, Nicopol(i) ex Moesia Inf(eriore)?, vic]o Calmovia .
[5] F. Matei-Popescu, Zwei Militärdiplome hadrianischer Zeit, ZPE 190 (2014) 300–302, n° 2. Un autre diplôme octroyé à un soldat dace sera publié par D. Dana (ZPE).
[6] Qui se trouve sur le Danube, en face de Sexaginta Prista (auj. Ruse, Bulgarie), où l’on connaît un camp auxiliaire ; voir R. Ivanov, Das römische Verteidigungssystem an der unteren Donau zwischen Dorticum und Durostorum (Bulgarien) von Augustus bis Maurikios, BRGK 78 (1997) 582.
[7] Pour cette cohorte, voir F. Matei-Popescu, The Roman Army in Moesia Inferior (The Centre for Roman Military Studies 7), Bucarest 2010, 231, n° 39 ; sur son homonyme, coh. I Claudia Sugambrorum veterana equitata, voir Ibid., 228–230, n° 38.
[8] H. Devijver, Prosopographia militiarum equestrium, Leuven 1976, A 7 (p. 48–49), qui propose comme unité coh. I Sugambrorum veterana equitata ; cf. aussi H. Devijver, The Equestrian Officers of the Roman Imperial Army (Mavors 6), Amsterdam 1989, 343, n° 1.
[9] Devijver, Prosopographia [n. 8], I 95 ; E. Birley, Septimius Severus and the Roman Army, EpStud 8 (1969) 74 (parmi les officiers équestres originaires de Syrie) ; Devijver, The Equestrian Officers [n. 8], 345, n° 16.
[10] Devijver, The Equestrian Officers [n. 8], 349.
[11] Devijver, Prosopographia [n. 8], A 8 ; Devijver, The Equestrian Officers [n. 8], 343, n° 2 ; E. Dąbrowa, Legio X Fretensis. A Prosopographical Study of its Officers (I–III C. A.D.) (Historia Einzelschriften 66), Stuttgart 1993, 73–74, n° 11 ; IGLS XVII.1 199 et 200, avec le commentaire de J.-B. Yon.
[12] Diplôme déjà signalé par D. Dana, Les Thraces dans les diplômes militaires : onomastique et statut des personnes , in : M.-G. G. Parissaki (éd.),Thrakika Zetemata II. Aspects of the Roman Province of Thrace (Μελετήματα 69), Athènes 2013, 232, n° 115.
[13] Voir Dana, Les Thraces [n. 12], 251.
[14] W. Eck, A. Pangerl, Diplome für Prätorianersoldaten aus der Herrschaftszeit der Philippi , ZPE 176 (2011) 258–260, n° 7 + P. Weiss,Neue Prätorianerdiplome des 3. Jahrhunderts, in : Honesta missione [n. 1], 354–356, n° 4.
[15] Pour l’ensemble des occurrences, voir D. Dana, Onomasticon Thracicum ( OnomThrac). Répertoire des noms indigènes de Thrace, Macédoine Orientale, Mésies, Dacie et Bithynie (Μελετήματα 70), Athènes 2014, p. 410.
[16] Eck, Pangerl, Diplome [n. 1], 340–341, n° 9.